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Pourtant trois des participants lui étaient connus. Et d'abord le plus proche compagnon d'armes du roi René, le sénéchal de Poitou et de Provence Louis de Beauvau, et sa femme, Jeanne de Beauvau. Il dit lui-même qu'il connaît celle-ci, lorsqu'il parle de la présence de dames à la fête et remarque:

De dames y eut habondance Desquelles je n'ay cognoissance Fors de la plus doulce en France: Ma dame de Beauvau. (str.42)

Cette épithète de «la plus doulce en France», il n'en gratifie même pas l'épouse de René, la reine Isabelle, à laquelle, bien sûr, il rend un hommage positif. Il ne dit pas expressément qu'il connaît Louis de Beauvau, mais les éloges dont il le comble, l'attestent assurément (str. 70). Notre auteur ne prodigue des éloges aussi généreux qu'à un seul personnage, Jehan de Montejean dont il écrit en particulier:

Jure a Dieu et a sainte Luce Que, si j'avoie esté en Pruce, Sa layaulté recouvrée eusse. Autant vouldroie son renom Que proesse que avoir sceusse: En luy n'a desdaing ne repusse Et trop mains mal qu'en une pusse. Et par tous lieux tel le tien on. (str. 190)

Sur le caparaçon de son cheval étaient cousues les lettres J et B. Étaient-ce les initiales de Jeanne de Beauvau?

Bien sûr tout ceci nous autorise seulement à dire que notre auteur connaissait quelque peu ces gens. Louis de Beauvau, si l'on en juge par les éloges que notre auteur fait de sa générosité, avait vraisemblablement été à un moment ou à un autre son bienfaiteur. Enfin on peut supposer que connaissant parfaitement les goûts du roi René, il fut le commanditaire de la description de la joute. Louis de Beauvau n'était lui-même pas étranger aux exercices poétiques, et il écrivit plus tard un poème sur la joute de Tarascon de 1449. Et si de quelque façon il connaissait notre auteur, il a pu aussi connaître sa capacité à s'acquitter d'une telle tâche.

Notre auteur, effectivement, est un assez bon versificateur, il observe avec rigueur dans chaque strophe le système des rimes, ce qui est chez lui une préoccupation particulière (str. 242). Cela montre que c'était un homme cultivé et qu'il avait déjà composé des œuvres poétiques. Lesquelles? On ne le sait pas, mais on peut dire avec certitude que décrire des fêtes de chevalerie était pour lui une nouveauté. Il se sent trop mal assuré dans cette carrière et craint trop de dire les choses autrement qu'il faut. Il s'excuse de

mon entendement mineur Qui n'a sentement de bien dire En chouse qui soit de valeur. (str. 244)

Il ne s'agit pas ici d'humilité et d'autodénigrement, si caractéristiques des écrivains médiévaux, particulièrement d'état religieux, mais précisément de la peur de paraître gauche et malhabile aux yeux des gens du monde;

La rime changée n'ay point, Doubtant que de mondanité Aucun m'eust argué et point. Homs suis non usant de prepoint. (str. 242)

Aussi en s'excusant pour sa langue et son style, il parle de sa modeste position et de l'éducation qu'il a reçue dans son ermitage forestier. La véracité du récit constitue son souci particulier:

Affin que devant le doctour Je ne sois trouvé mentour. (str. 6)

Il ne manque pas une occasion de dire d'où il tire telle ou telle information, car quant à lui il est arrivé en retard à la fête et a dû ou questionner les témoins oculaires ou utiliser les notes des secrétaires qui étaient présents à la tribune aux côtés des juges. Mais souvent il lui manque quelques éléments, et alors il s'explique et promet de découvrir plus tard ce qui lui échappe encore. Sous ce rapport notre auteur se comporte comme beaucoup d'autres auteurs de son temps pour qui la vérité était un des buts les plus importants de la relation d'événements. Et cette vérité était atteinte avant tout par l'expérience, c'est-à-dire par l'observation personnelle, et aussi grâce au questionnement de témoins oculaires. Mais à la différence de beaucoup d'autres, la quête de la vérité est chez notre auteur colorée d'une charge émotionnelle particulière. Comme s'il craignait les reproches, il insiste constamment sur la véracité de ses paroles et même s'écrie:

Je veul mon compaignon pendu Si de tout cecy je vous mens. (str. 218)

Quand a-t-il travaillé sur son œuvre? Il en a reçu la commande, on peut le supposer, lors de son arrivée à Saumur, bien qu'à la vérité on ne puisse exclure la possibilité qu'il ait eu spontanément l'intention de décrire les festivités, en dehors de toute commande, mais celle-ci le força à diriger l'attention sur ce qui intéressait le roi René.

Jusqu'à ce qu'on se séparât il rassembla des informations mais il n'eut pas le temps d'en obtenir beaucoup, ce dont il se plaint au début de son poème. Exposant le vaste plan de sa description, il remarque que

Des preux vous feray mention Le mieub a mon entencion Ne puis si toust car action Nay de l'escript ne instruction… (str. 7)

Néanmoins, malgré le défaut d'informations, il se mit au travail sans désemparer. Pendant qu'il compose il reçoit sans cesse de nouveaux renseignements que, semble-t-il, quelqu'un lui communique. Parlant de l'un des participants à la joute, Jean Cosse, il remarque

Du tymbre ne peu bonnement Deviser mes présentement Ay receu par escript comment Tymbre estoit, dont vous diray Quant ressaudra prochinement, Et des autres pareilement, Dont n'ay fait au commencement. Mension, je m'acquicteray. (str. 64)

Il veut dire qu'il donnera la description des heaumes au fur et à mesure que ces chevaliers apparaîtront en lice au cours du récit, car beaucoup d'entre eux furent engagés plusieurs fois.

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